Maintenant que le droit au logement a force de loi au Canada, que fait-on ?
05 Juil 2019
Le 21 juin, le gouverneur général a promulgué le projet de loi C-97, qui comprend la Loi relative à la Stratégie nationale du logement intégrant un droit fédéral au logement. Cette disposition législative est historique. D’abord, il s’agit de la première fois où le gouvernement canadien reconnaît légalement un droit explicite au logement. De plus, le Canada intègre ainsi la poignée de pays dans le monde qui ont adopté une telle législation. Enfin, cela représente le point culminant après des années d’efforts de nombreux intervenants pour que ce droit devienne une réalité juridique.
Depuis, plusieurs intervenants du monde de l’habitation se posent la question : « Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? » Quoique le droit au logement représente un pas en avant, des questions demeurent sur ce qu’il implique. À partir de la loi comme telle et de discussions avec la SCHL et des fonctionnaires du gouvernement, j’ai compilé une liste de 10 réflexions sur les effets de la loi, sur ses limites et sur ce que nous ne savons pas encore.
Les effets de la Loi :
1. Elle établira une nouvelle feuille de route pour les programmes fédéraux de logement : L’une des premières lignes de la loi se lit comme suit : « Le gouvernement fédéral a pour politique en matière de logement de reconnaître que le droit à un logement suffisant est un droit fondamental de la personne confirmé par le droit international ; de reconnaître que le logement revêt un caractère essentiel pour la dignité inhérente à la personne humaine et pour son bien-être, ainsi que pour l’établissement de collectivités viables et ouvertes. » Cette reconnaissance légale est sans équivoque et énonce clairement les objectifs et les buts de la politique du gouvernement fédéral dans le cadre de sa politique globale du logement. De plus, et ce n’est peut-être pas par hasard, cette reconnaissance légale s’aligne sur le nouvel objectif de la SCHL de s’assurer que, d’ici 2030, chaque personne vivant au Canada ait accès à un logement qui correspond à ses besoins. Donc, la loi établit une nouvelle orientation pour la SCHL et le gouvernement fédéral quant aux programmes, aux politiques et aux budgets de l’habitation ; une orientation que nous accueillons très favorablement.
2. Elle nécessitera que le gouvernement fédéral développe et maintienne une Stratégie nationale du logement pour ceux et celles qui en ont le plus besoin : L’une des recommandations majeures de l’ACHRU était que la Loi oblige le gouvernement fédéral à développer et à maintenir une Stratégie nationale du logement qui vise l’amélioration des conditions de logement pour les plus vulnérables. Nous l’avons obtenue ! Cet engagement rendra illégale pour les gouvernements futurs l’abolition d’une stratégie du logement et nécessitera du gouvernement fédéral le redéveloppement de cette stratégie lors de son expiration, dans 10 ans.
3. Elle créera de nouveaux mécanismes de reddition de comptes qui pourront étudier les barrières systémiques à l’accès au logement : La Loi crée deux entités de reddition de compte qui surveilleront activement l’implantation du droit au logement : un Conseil national du logement et un défenseur fédéral du logement. Le Conseil est un organisme de recommandations sur les enjeux de l’habitation et il comprendra une diversité de membres incluant les personnes qui connaissent ou ont connu des difficultés à se loger. Le rôle du défenseur fédéral du logement, qui est une entité indépendante, consistera à rechercher, à enquêter et à rédiger des rapports sur les enjeux systémiques liés à l’habitation, incluant les barrières que rencontrent les personnes vulnérables et à entreprendre des études sur les conditions économiques, institutionnelles ou industrielles qui ont un impact sur le logement. Le défenseur peut aussi transmettre des enjeux ou des recommandations pour analyse au Conseil. La Loi spécifie que le ministre doit répondre aux rapports du défenseur en dedans de 120 jours.
4. Elle mesurera et rendra publics les indicateurs liés à la Stratégie nationale du logement : La Loi exige que le gouvernement fédéral dépose un rapport à tous les trois ans sur l’efficacité de la Stratégie nationale du logement et sur sa capacité à rencontrer ses objectifs globaux et ses buts établis ; le premier de ces rapports doit être déposé le 31 mars 2021. Ces documents mesureront et évalueront probablement si la stratégie fédérale est sur la bonne voie ou si elle a besoin de redressements. Toutefois, comme c’est probablement la SCHL qui aura la responsabilité d’élaborer ces rapports, on peut se demander si elle sera en position de mener sa propre évaluation.
Les limites de la Loi :
1. Elle ne créera pas un droit individuel applicable pour l’accès au logement : Pendant l’élaboration de la loi, il y a eu un débat sur la question de savoir si la Loi procurerait des mécanismes pour obtenir justice pour une personne qui n’aurait pas accès à un logement. La Loi ne comprend aucun mécanisme à cet effet. Il n’y aura pas de tribunaux fédéraux ou d’organismes pour entendre cette cause. En ce sens, la Loi reconnaît davantage un droit collectif qu’un droit individuel légalement applicable.
2. Elle ne s’applique pas aux juridictions provinciales, territoriales, autochtones ou municipales : La loi relative à la Stratégie nationale sur le logement possède un statut fédéral et n’a donc pas juridiction sur d’autres types de gouvernements. Il n’y a pas d’obligations légales pour ces gouvernements de coopérer ou de répondre aux recommandations. Et même, la Loi établit clairement que le défenseur du logement se rapporte et fait des recommandations sur « la prise de mesures qui relèvent de la compétence du Parlement ». Toute participation des autres gouvernements ne peut se faire que sur une base volontaire et, pour le moment, il y a peu d’indications d’intérêt de la part de ces gouvernements.
3. Elle n’est pas protégée par la constitution : La Loi relative à la Stratégie nationale sur le logement n’est pas une disposition constitutionnelle. Donc, en théorie, cette Loi et la reconnaissance des droits qu’elle contient pourraient être révoquées par un futur parlement. Quoique l’abrogation de cette loi serait politiquement difficile, aucune règle législative ou constitutionnelle n’empêcherait un prochain gouvernement de l’éliminer.
Ce que nous ignorons encore
1. Comment les tribunaux appliqueront-ils la loi ? Toutes les lois sont sujettes à l’interprétation des tribunaux et leur impact exact n’est pas complètement établi tant qu’un nombre suffisant de jugements n’ont pas été rendus. La Loi relative à la Stratégie nationale sur le logement et le droit au logement ne sont pas différents. Tant que les cours ou les autres entités juridiques n’auront pas commencé à l’utiliser, il est impossible de prédire ses impacts légaux réels. Cela prendra du temps, probablement des années, avant de mieux comprendre la loi.
2. Qui sera nommé à titre de défenseur fédéral du logement ou comme membre du Conseil national du logement ? Le gouvernement est demeuré muet sur ces questions. Quoique la Loi établit des critères clairs pour le choix des personnes à ces postes, il n’y a pas d’échéanciers ou de processus spécifiques confirmés à ce sujet.
3. Est-ce que la Loi changera fondamentalement les programmes et les financements fédéraux ? Bien que nous ayons soutenu que le droit au logement changerait l’orientation et le mandat du gouvernement fédéral, le gouvernement peut prétendre que les programmes et les financements actuels répondent aux exigences de la Loi. Nous ne savons pas si la Loi obligera les gouvernements à augmenter les fonds ou à améliorer les programmes de logements ou de lutte à l’itinérance dans l’esprit de donner accès à un logement pour toutes les personnes, ou si les gouvernements affirmeront que les niveaux actuels sont suffisants pour atteindre ces objectifs.
Malgré ces réserves, l’adoption de la Loi relative à la Stratégie nationale sur le logement constitue un événement historique qui doit être célébré. Pendant les prochains mois et les prochaines années, les intervenants travailleront avec les nouveaux mécanismes de reddition de compte et le nouveau droit au logement pour s’assurer que le gouvernement fédéral honore ses engagements de maintenir le droit au logement pour toutes les personnes au Canada.
Jeff Morrison est le directeur général de l’Association canadienne d’habitation et de rénovation urbaine.